France : la police nationale utiliserait illégalement la reconnaissance faciale
La police nationale française utiliserait depuis des années déjà un logiciel de reconnaissance faciale. C’est ce que rapporte le magazine d’investigation Disclose en se référant à des documents internes du ministère de l’Intérieur. L’autorité française de protection des données, la CNIL, veut désormais enquêter sur ces accusations.
D’après l’enquête de Disclose, le logiciel « Video Synopsis » de la société israélienne Briefcam a été acquis dès 2015. Il est censé analyser des vidéos à l’aide d’algorithmes et offrir différentes possibilités de surveillance : par exemple, les véhicules peuvent être suivis à l’aide de leur plaque d’immatriculation sur les enregistrements de différentes caméras ; mais le logiciel offre également une fonction de reconnaissance faciale.
L’utilisation de la reconnaissance faciale n’est toutefois autorisée en France que dans quelques cas exceptionnels, rappelle Disclose. Si elle est autorisée par un tribunal, les images peuvent être comparées à une base de données de la police, qui contiendrait huit millions de photos en 2018.
Mais dans le cas de la police nationale, l’utilisation se fait de manière illégale : citant une source anonyme au sein de la police, Disclose rapporte que la fonction de reconnaissance faciale y est déjà activement utilisée sans contrôle et sans réquisition judiciaire. « N’importe quel policier dont le service est équipé peut demander à recourir à Briefcam, en transmettant une vidéo ou photo », a expliqué cette personne aux journalistes.
Pas de reconnaissance faciale pendant les Jeux olympiques
Le gouvernement français a certes créé au début de l’année une base juridique pour l’évaluation des enregistrements de caméras à l’aide d’algorithmes. La technique devrait être utilisée lors des Jeux olympiques d’été de 2024. Le Sénat français a rejeté les amendements visant à introduire la reconnaissance faciale.
Selon l’enquête, en mai 2023, la police n’avait toujours pas réalisé d’analyse d’impact sur la protection des données pour le logiciel, ce qui aurait dû être une condition préalable à son utilisation. Cependant, depuis 2015 déjà, le logiciel Briefcam a été installé sur les ordinateurs de différents services de police, notamment à Paris et à Marseille. Une unité de police chargée des écoutes téléphoniques en cas de délits graves aurait également été équipée du logiciel de reconnaissance faciale.
Le fournisseur Briefcam a déclaré aux journalistes que les autorités de plus de 100 villes françaises avaient été équipées du logiciel.
L’utilisation potentielle de la reconnaissance faciale a également suscité des inquiétudes au sein des autorités elles-mêmes. Ainsi, en mai 2023, un membre de la Direction nationale de la sécurité publique (DNSP) du ministère de l’Intérieur a indiqué qu’il était interdit d’utiliser la reconnaissance faciale en dehors de limites juridiques strictes. En 2020 déjà, selon l’enquête, un fonctionnaire de police avait écrit dans un message qu’il valait mieux ne pas parler de l’utilisation de Briefcam, parce qu’elle n’avait pas encore été signalée à la CNIL.
Le ministère de l’Intérieur souhaite toutefois maintenir l’utilisation du logiciel, rapporte Disclose. Le renouvellement de certaines licences arrivant à échéance a déjà été approuvé et financé par un fonds alimenté par des saisies dans le cadre du trafic de drogue. Ces sommes étaient censées servir à la lutte contre le trafic de drogue et à la prévention de la toxicomanie.
La CNIL et le ministère de l’Intérieur annoncent une enquête
Selon Disclose, la direction générale de la police nationale n’a pas répondu aux demandes de renseignements sur ces faits. La CNIL aurait déclaré qu’elle ne disposait d’aucune information sur l’utilisation potentielle du logiciel Briefcam.
Après la publication de l’enquête, la CNIL a déclaré sur X, anciennement Twitter, qu’elle ouvrait une procédure d’enquête.
Le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin a également déclaré vendredi au journal Ouest France qu’il avait demandé une enquête sur les faits reprochés.
L’organisation de défense des droits civiques La Quadrature du Net a qualifié ces révélations de « choquantes ». Des cadres de la direction générale de la police nationale ainsi que des ministres auraient délibérément gardé le silence par peur de la controverse, sachant pertinemment que cette pratique les plaçait en dehors de la loi.
L’ONG déplore également que les mécanismes de contrôle prévus, de la CNIL à l’IGPN (Inspection générale de la police nationale), n’aient pas fonctionné. De plus, le financement du logiciel Briefcam par des fonds provenant du « fonds concours drogue » peut être considéré comme un détournement de fonds publics, selon La Quadrature du Net.
Philippe Latombe, député français et membre du bureau de la CNIL, a déclaré au site d’information Euractiv : « La vraie question est plutôt de savoir comment l’utilisation est faite et sous quel contrôle ». Dans l’état actuel des choses, la police aurait apparemment utilisé le logiciel Briefcam pour des enquêtes a posteriori, peut-être aussi la fonction de reconnaissance faciale. Cela aurait toutefois été fait sous le contrôle d’un juge. Mais il existe d’autres scénarios : dans le pire des cas, les visages ont été comparés sans la supervision d’un juge. M. Latombe considère cela comme une grave violation des lois existantes. (js)