Nicaragua : la rédaction doit poursuivre son travail depuis l’étranger

La Prensa ne paraît plus qu’en ligne depuis août 2021. Le gouvernement a bloqué l’édition papier du journal (source: IMAGO / Agencia EFE)

L’organisation Reporters sans frontières (RSF) critique la persécution des médias indépendants au Nicaragua. Celle-ci a en effet atteint son paroxysme au cours des dernières semaines : des collaborateurs du seul quotidien national La Prensa ont été obligés de quitter le pays. Même les ONG subissent une forte pression.

Comme l’a rapporté RSF mercredi, la police avait perquisitionné, dans la capitale Managua, début juillet, les appartements de plusieurs employés de La Prensa. Deux chauffeurs du journal ont été arrêtés le jour-même – sans qu’une justification soit avancée par les autorités.

Une journaliste et un photographe du quotidien dont les appartements ont également été perquisitionnés sont parvenus à se cacher. Ils ont pu ainsi échapper à l’emprisonnement mais ont été contraints de quitter clandestinement le pays.

Victime d’intimidations incessantes, toute la rédaction du journal a dû poursuivre son travail depuis l’étranger.
Le porte-parole du bureau allemand de RSF a déclaré : « La Prensa est un des derniers bastions du journalisme indépendant au Nicaragua. Ses articles sont indispensables aux habitants du pays. »

Intimidations envers le journal

Selon RSF, les perquisitions de juillet s’inscrivent dans une longue liste d’intimidations exercées par les autorités : ainsi, la police avait fermé arbitrairement les locaux de la rédaction du journal en août 2021. Les employés n’ont pas pu retourner, depuis, dans le bâtiment. Les autorités avaient, par ailleurs, confisqué l’ensemble de l’équipement technique de la rédaction – y compris la presse rotative servant à l’impression du journal.

Auparavant déjà, le gouvernement avait à maintes reprises privé la Prensa ainsi que d’autres journaux de papier et d’encre. La Prensa était cependant parvenue à publier une version papier. Mais depuis août dernier, plus aucune édition papier du quotidien n’apparaît – à la place, la rédaction publie ses articles en ligne. À la veille de la fermeture de la rédaction par la police en août, la Prensa avait publié sa dernière édition papier en l’intitulant : « La dictature peut bloquer notre papier d’impression mais elle ne peut pas empêcher la vérité d’éclater. »

En août, même son directeur général Juan Lorenzo Holmann Chamorro a été arrêté et condamné à neuf ans de prison pour blanchiment d’argent. RSF critique le fait qu’aucune preuve n’ait été fournie concernant ces accusations mais aussi le fait qu’on refuse au directeur l’accès à un avocat et aux soins.

Le porte-parole allemand de RSF a émis la critique suivante : « Incroyable de quels moyens le gouvernement Ortega use pour réduire les professionnels des médias au silence. La presse indépendante au Nicaragua agonise, les dernières voix critiques envers le gouvernement disparaissent. »

La Prensa a été créée en 1926. La dernière édition imprimée est parue en août 2021 (source: IMAGO / Agencia EFE)

En juin, le gouvernement avait également confisqué les biens du site d’information indépendant Trinchera de la Noticia et avait perquisitionné un peu plus tard ses bureaux. Trinchera de la Noticia avait alors cessé son activité. Les autorités reprochent au média d’« avoir troublé la paix sociale ».

« Agents étrangers »

Le président du Nicaragua Daniel Ortega était déjà à la tête du pays de 1979 à 1990 – tout d’abord comme membre de la Junte de gouvernement, puis comme président élu. Depuis 2007, il est à nouveau chef de l’État. Il a été dernièrement élu pour un quatrième mandat en 2021 – de nombreuses critiques s’étaient élevées contre les élections car le président du régime autoritaire avait fait arrêter auparavant sept candidats de l’opposition.
Selon RSF, la réélection du président Ortega a conduit à une vague d’expatriation parmi les représentants des médias indépendants : au moins 140 d’entre eux se sont réfugiés en exil ; la plupart au Costa Rica, aux USA et en Espagne. Beaucoup auraient quitté le pays clandestinement parce qu’ils étaient impliqués dans des procédures judiciaires arbitraires ou placés sous écoute policière. Les passeports de certains professionnels des médias qui voulaient sortir du territoire leur ont été retirés, les empêchant alors de partir légalement.

L’organisation critique le fait que le président exerce une pression juridique et économique sur les médias indépendants afin de contrôler la couverture journalistique. Il existerait par exemple des limitations pour l’importation de matériel journalistique. De plus, les lois stipulent des restrictions à l’encontre des professionnels des médias : les personnes, entreprises et organisations qui reçoivent de l’argent de l’étranger doivent s’inscrire comme « agents étrangers » auprès du Ministère de l’intérieur – cela concerne également les correspondants de la presse étrangère. Avant que la loi soit promulguée, RSF avait mis en garde contre cette loi visant à censurer et intimider les médias indépendants.

Les organisations de la société civile sont, elles aussi, concernées. Les experts des droits de l’homme de l’ONU avaient constaté la semaine précédente que cette loi conduisait à des fermetures arbitraires. Depuis cette année, le financement étranger des organisations d’utilité publique a été considérablement réduit. L’Assemblée nationale a déjà fait fermer plus de 700 ONG à la demande du gouvernement – dont des organisations des droits de l’homme et des regroupements écologiques.

Selon Human Rights Watch (HRW), plus de 950 organisations et fondations se sont vues retirer leur approbation depuis 2018 et ne peuvent donc plus agir au Nicaragua. HRW reproche au gouvernement de miner les droits à la liberté d’expression et d’association. Paralyser les ONG fait partie de la stratégie visant à réduire au silence les organisations de la société civile et les médias indépendants, en usant de moyens répressifs. Parmi ceux-ci, citons bien entendu les lois mais aussi des intimidations, des arrestations arbitraires et des poursuites pénales à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des représentants des médias.
Amnesty International parle d’une « crise des droits de l’homme » dans le pays.

Dans le classement actuel sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, le Nicaragua occupe la 160e place sur 180 États. À la fin de l’année dernière, l’organisation avait rapporté qu’au moins 20 médias indépendants avaient disparu sous le régime Ortega – suite, notamment, à la confiscation de matériel ou à des fermetures contraintes. (js)