Amnesty : l'Europe fournit des technologies de surveillance à la Chine

Parlement européen
La Commission européenne éprouve des difficultés depuis des années à intégrer les droits humains aux décisions d’exportation. (Source : EmDee – CC BY-SA 4.0)

Une technologie européenne utilisée pour porter atteinte aux droits humains et opprimer la population – cela semble absurde, mais c’est une réalité, d’après l’organisation de défense des droits humains Amnesty International. Actuellement, les entreprises européennes peuvent, presque sans être contrôlées, fournir à la Chine des logiciels et du matériel biométrique de contrôle, qui serviront là-bas notamment à la reconnaissance faciale, comportementale et des émotions.

D’après l’analyse d’ Amnesty « Out of Control » publiée le 22/09/2020, les entreprises risquent avec cela de contribuer à de graves « atteintes aux droits humains ». C’est pour cette raison que l’organisation exige des contrôles des exportations pour de telles technologies. Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne ont discuté hier de la nécessité éventuelle de réguler plus strictement l’exportation des techniques de surveillance.

L’UE freine

Pour Amnesty, il s’agit de ce qu’on appelle des biens d’exportation à double usage, c’est-à-dire de produits qui peuvent aussi bien être utilisés à des fins civiles que militaires. Dès 2016 déjà, la Commission européenne discute d’une réforme de la recommandation sur le contrôle des échanges “Recommandation sur le double usage n°428/2009”. Celle-ci fixe quelles règles s’appliquent à l’échange de certains produits qui peuvent également être utilisés à des fins militaires – par exemple la technologie nucléaire, les systèmes de navigation et, justement, les technologies de surveillance.

À l’avenir, plus de produits doivent être intégrés à cette régulation. Des obligations liées au devoir de diligence doivent être introduites et de nouveaux instruments de surveillance numérique doivent être intégrés à une liste de contrôle. Le critère de décision doit être la situation des droits humains dans les pays importateurs. Les mesures prévues « s’aligneraient avec l’engagement normatif de longue date de l’UE pour la protection des droits humains dans les domaines du commerce international et des relations internationales ». Jusqu’à présent, elles sont cependant bloquées par le Conseil de l’Union Européenne et le processus juridique serait apparemment enrayé.

Livraisons dans des zones de crise

Dans ce rapport, Amnesty International nomme à titre d’exemples négatifs trois entreprises française, suédoise et néerlandaise démontrant que trop peu de contrôles ont eu lieu jusqu’à présent. Celles-ci ont fourni des technologies numériques de surveillance à des institutions publiques – entre autres dans la région chinoise du Xinjiang. Là-bas, ces technologies doivent par exemple être utilisées afin de surveiller et d’opprimer la population ouïgoure. La surveillance de masse fait cependant partie du quotidien dans toute la Chine.

Dans la région du Xinjiang (officiellement : la Région autonome ouïgoure du Xinjiang) vivent une grande partie des Ouïgours de Chine, mais aussi des Hans et des Mongoles. Régulièrement, des tensions ethnico-religieuses surviennent dans la région auxquelles la Chine répond par des mesures répressives. Les observateurs internationaux et les organisations des droits humains font état de camps de rééducation et d’atteintes massives aux droits humains.

Reconnaissance des émotions et 30 000 caméras

Les trois entreprises citées à titre d’exemple sont Morpho (anciennement Idemia), Axis Communications ainsi que Noldus Informational Technology. D’après le rapport, Morpho a fourni en 2015 des technologies de reconnaissance faciale au Bureau de la sécurité publique de Shanghai. L’entreprise a confirmé la transaction à Amnesty. En 2017, deux ans après cet échange, Morpho a établi un règlement interne interdisant de vendre des systèmes d’identification à la Chine.

Axis Communications produit des caméras en réseau et a fourni ses produits à la Chine depuis au moins 2012. Dans des documents d’appel d’offre pour la surveillance d’État dont Amnesty dispose, Axis est présentée comme une « marque recommandée ». Plusieurs sources indiquent que les produits Axis sont utilisés pour « une surveillance de masse aléatoire ».

D’après ses propres déclarations, l’entreprise a fourni pas moins de 30 000 caméras pour le projet de surveillance « Skynet ». Les appareils couvrent un angle de vue de 360 degrés et offrent une portée de 300 à 400 mètres. L’entreprise a affirmé à Amnesty que rien n’indiquait lors de la participation aux projets chinois que les produits seraient utilisés à des fins portant atteinte aux droits humains.

Noldus a vendu entre 2012 et 2018 des systèmes de reconnaissance des émotions à des institutions qui travaillent avec la police chinoise et à d’autres services de sécurité. Le produit FaceReader reconnaît automatiquement si une personne est en colère, heureuse, triste, surprise ou dégoûtée. Jusqu’à juin dernier, le programme pouvait aussi reconnaître, entre autres, l’ethnie d’une personne.

Après que les médias néerlandais ont rapporté le fait que Noldus vendait son produit directement au Ministère chinois de la Sécurité publique, l’entreprise confirmait ses transactions avec la Chine. D’après Amnesty, cette technologie ne peut certes pas être utilisée pour la surveillance de masse mais seulement en laboratoire. Pourtant, le produit serait utilisé en Chine par les services de sécurité.

Les exportations n’étaient, d’après Amnesty, concernées par aucunes restrictions ou contrôles commerciaux. Par conséquent, de telles technologies peuvent être jusqu’à présent exportées sans encombre vers des « pays ayant mauvaise réputation en matière de droits humains ».hcz