Birmanie : l'armée a accès à la reconnaissance faciale
Dans la capitale birmane Naypyidaw, les autorités locales avaient fait installer un système de reconnaissance faciale et des plaques d’immatriculation à la mi-décembre. Depuis le putsch du 1er février, la junte militaire y a accès. L’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) craint désormais que cette technique ne soit utilisée contre les manifestants.
En tout, 355 caméras de surveillance étatique sont utilisées dans huit quartiers de Naypyidaw, comme le rapportait HRW vendredi dernier (en anglais). Ces appareils scannent de manière automatisée les visages et les plaques d’immatriculation dans l’espace public et avertissent les autorités lorsque des personnes recherchées ou des véhicules sont retrouvés. Les gouvernements locaux avaient planifié ces projets intitulés « Safe City » dès 2018 et argué qu’ils amélioraient la sécurité tout en réduisant les activités criminelles. D’ici le milieu de l’année 2021, elles veulent installer un système similaire à Mandalay ; plus tard, la ville de Rangoun devrait suivre.
Depuis le coup d’État de l’armée en Birmanie, des manifestations, dont certaines sont réprimées dans la violence (en allemand), ont lieu : rien que dimanche dernier, jusqu’à 38 manifestants y ont trouvé la mort. Manny Maung, experte de la division Asie de HRW, craint que le système de surveillance de la junte ne puisse contribuer à réprimer les manifestants : « La capacité des autorités à identifier les personnes dans la rue, à surveiller potentiellement leurs allées et venues et leurs relations et à s’introduire dans leur vie privée représente un réel danger pour les activistes anti-putsch. »
D’après Human Rights Watch, l’utilisation de cette technique manque également de transparence : on ne sait exactement ni comment les données personnelles sont collectées, ni comment elles sont enregistrées et utilisées. En décembre, l’agence de presse Myanmar Now avait rapporté (en anglais) que le système de surveillance sauvegarderait les enregistrements vidéo pour 60 jours. De plus, Human Rights Watch critique le fait qu’on ignore quelles autorités ont accès à ces données, et dans quelles circonstances. En outre, l’utilisation de la reconnaissance faciale et des plaques d’immatriculation a été autorisée sans débat public.
La protection de la vie privée abrogée
D’après HRW, cette surveillance est particulièrement inquiétante car la junte militaire a abrogé (en anglais) en février plusieurs paragraphes de la loi sur la protection de la vie privée et de la sécurité des citoyens. Entre autres, la protection contre les emprisonnements arbitraires a été supprimée. Un autre paragraphe supprimé concernait le droit à la vie privée et interdisait la surveillance étatique sans mandat judiciaire préalable. En Birmanie, il n’y a par ailleurs pas de disposition concernant la collecte, le traitement ou l’enregistrement de données personnelles. Les données biométriques, particulièrement sensibles, ne sont pas non plus protégées.
La reconnaissance faciale est considérée comme sujette aux erreurs et comporte le risque que des personnes innocentes soient prises pour cible par les forces de l’ordre. Mais même si cette technique était fiable, elle permettrait aux gouvernements de surveiller les habitudes des citoyennes et des citoyens, dénonce HRW. Cela pourrait entraîner un « chilling effect » (un effet dissuasif), si bien que les personnes, par peur de la surveillance, ne participeraient plus à des rassemblements ou n’exprimeraient plus leur opinion librement. De plus, cette technique pourrait par exemple être utilisée pour surveiller de manière ciblée et discriminer certains groupes ethniques.
Le gouvernement militaire ne doit pas utiliser la reconnaissance faciale
HWR fait un rappel de la Déclaration universelle des droits de l’homme : celle-ci stipule que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée et que toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles atteintes. Les autorités birmanes devraient par conséquent garantir que les données personnelles ne soient traitées que dans un cadre strictement limité, dans la mesure où cela s’avère nécessaire et proportionné.
Le gouvernement birman élu justifiait la surveillance de masse par la lutte contre le crime, mais ne ferait ainsi que renforcer la junte militaire. « L’introduction de ces technologies devrait être suspendue en raison des risques qui y sont associés et de la possibilité d’atteintes supplémentaires au droit », a réclamé Manny Maung.
D’après Human Rights Watch, une partie de l’équipement de reconnaissance faciale proviendrait de l’entreprise chinoise Huawei. Celle-ci a confirmé à l’organisation des droits humains avoir livré des caméras. Le groupe nie cependant le fait que le logiciel utilisé provienne de lui. On ignore encore si Huawei a effectivement vendu ces caméras sans cette technologie de reconnaissance controversée ou a mandaté des sous-traitants pour l’installation de cette technique. L’année dernière, Huawei a apparemment testé un logiciel de caméra (en allemand) qui peut reconnaître les membres de la minorité opprimée des Ouïgours. D’après les dispositions des Nations Unies, les entreprises technologiques doivent s’assurer que leurs produits ne sont pas utilisés pour porter atteinte aux droits humains, rappelle HRW.
Depuis le putsch en février, des coupures d’Internet (en allemand) ont également lieu en Birmanie : l’organisation NetBlocks rapportait lundi dernier (en anglais) qu’Internet continuerait à être éteint la nuit. Le réseau mobile ne fonctionne apparemment pas non plus la journée. D’après Human Rights Watch, la plupart des personnes en Birmanie utilisent Internet via leur téléphone mobile (en anglais). En raison de la perturbation des systèmes de communication, il est actuellement difficile pour les citoyennes et les citoyens en Birmanie de s’informer sur ce qui se déroule dans le pays. D’après NetBlocks, la junte militaire a également bloqué l’accès à l’encyclopédie en ligne Wikipedia en Birmanie. (js)