La Chine construit un système de surveillance dirigé contre les journalistes
La province chinoise du Henan a commandé la construction d’un système de surveillance à reconnaissance faciale destiné à suivre les journalistes, étudiants et autres personnes étrangères. Selon l’appel d’offres rendu public mardi, le système comprendra 3000 caméras de surveillance et sera relié à des bases de données nationales et régionales.
Dans l’appel d’offres, il est précisé que les mouvements des étudiants interantionaux devaient être enregistrés en utilisant des méthodes comme la localisation des portables, les réservations de voyage et d’hôtels, en particulier aux dates importantes telles que le jour de la fête nationale ou de la session parlementaire annuelle. Il est prévu que le système de surveillance soit utilisé par 2000 policiers et autres agents.
La reconnaissance faciale doit également fonctionner de manière fiable lorsque les personnes observées portent des masques ou des lunettes, afin que les images soient également adaptées à la recherche automatique dans les bases de données dans ces circonstances.
« Ce document est le premier exemple connu de la mise en place par la République populaire de Chine d’une technologie de sécurité sur mesure afin de rationaliser la répression étatique des journalistes », a déclaré Donald Maye, directeur de la société de recherche en technologie de surveillance IPVM à l’agence de presse Reuters (en anglais) .
Un système de surveillance « unique »
Les journalistes seront classés en trois catégories selon les couleurs de feu rouge, jaune et vert, pour indiquer le degré d’urgence du suivi. Le déclenchement d’une alerte aiguë lors du déplacement de certains journalistes dépendra notamment du motif du voyage, du type de reportage et de la destination.
Ce système de surveillance est « différent en tous points » de ce que les chercheurs ont découvert jusqu’à présent, a rapporté l’entreprise états-unienne IPVM (en anglais). Elle avait trouvé l’appel d’offres de près de 200 pages en ligne. Le fait que les professionnels des médias soient spécifiquement désignés comme cibles de la surveillance est, d’après elle, « unique ».
Dans la plupart des documents, il est fait référence aux journalistes en général, mais à certains endroits, il est spécifiquement question des « journalistes étrangers ». L’appel d’offres n’explique pas pourquoi ce sont précisément les journalistes et les étudiants étrangers qui sont visés par la surveillance. En outre, les « femmes des pays voisins en situation irrégulière » sont également désignées comme groupe cible.
Mais en principe, les groupes cibles à surveiller et les alertes pourraient être créés sur la base de nombreuses caractéristiques propres aux personnes : d’autres options sont des caractéristiques telles que l’ethnie, des comportements comme la fréquentation de certains lieux, la formation et la profession, l’âge, le sexe ou l’apparence physique comme le port de lunettes.
Selon Reuters, le gouvernement du Henan avait déjà publié en octobre dernier un bref résumé du projet prévu sur sa plateforme. Celui-ci indiquait que le système était « centré sur les étrangers » et qu’il contribuait à « protéger la souveraineté nationale ».
Une hostilité envers les journalistes
Le projet a été lancé fin juillet par le « Bureau de la sécurité publique de la province du Henan » afin de surveiller et de localiser les personnes « concernées » dans la province. Le projet n’a été rendu public qu’après sa publication par l’IPVM.
Le Henan compte environ 99 millions d’habitants. Le contrat de 5 millions de yuans (environ 690 000 euros) a été attribué à la mi-septembre à l’entreprise chinoise de logiciels et d’informatique Neusoft, a ajouté l’IPVM.
L’appel d’offres a été lancé quelques jours après que des reporters étrangers ont été attaqués et réprimés (en allemand) dans la région. Ils avaient couvert les inondations qui y avaient fait plus de 99 morts. Des employés de l’agence de presse AFP avaient alors rapporté que des passants les avaient forcés à supprimer des enregistrements ; des reporters de la BBC avaient été pris à partie en ligne et menacés de mort.
La Fédération des correspondants étrangers en Chine (FCCC) considère que l’action contre les journalistes est d’origine étatique : « La rhétorique des organisations liées au Parti communiste chinois au pouvoir met directement en danger la sécurité physique des journalistes étrangers en Chine et entrave la liberté de reportage ».
Depuis lundi, les documents ne sont plus disponibles sur le site de l’autorité, selon Reuters. Neusoft n’a pas répondu aux demandes de la presse. Le gouvernement de la province du Henan et la police n’ont pas non plus répondu aux questions. On ne sait pas non plus si d’autres provinces mettent en place ou exploitent déjà des systèmes de surveillance similaires. Cependant, ce système spécifique n’est qu’une partie de la vaste machine de surveillance chinoise déjà sur pieds. (hcz)