Des smartphones de journalistes et d'opposants espionnés dans le monde entier
Selon les médias, le logiciel de surveillance Pegasus de la société israélienne NSO a été utilisé pour espionner encore plus de personnalités d’opposition et de journalistes que ce que l’on savait auparavant. Des traces du logiciel espion ont été trouvées sur 37 smartphones de professionnels des médias, de défenseurs des droits humains et de leurs proches, ainsi que d’hommes d’affaires. Ces faits ont été rapportés par un consortium international de journalistes en coopération avec les organisations Forbidden Stories et Amnesty International. Ils ont analysé un ensemble de données de plus de 50 000 numéros de téléphone apparemment sélectionnés par les utilisateurs de Pegasus comme cibles potentielles d’espionnage.
Ont participé aux recherches du nom de « Projet Pegasus » notamment Franceinfo mais aussi les médias allemands NDR, WDR, Süddeutsche Zeitung, die Zeit ainsi que plusieurs médias internationaux. D’après ces recherches, la liste de numéros de téléphone comprend les entrées de 2016 à 2021 d’au moins 10 clients de l’entreprise. D’après ce qu’elle indique elle-même, l’entreprise NSO vend ses techniques de surveillance à des agences étatiques uniquement.
Les journalistes ont pu attribuer des milliers de numéros de téléphone à des personnes précises, y compris des chefs d’État et de gouvernement. En outre, les numéros de plus de 180 journalistes figuraient sur la liste, parmi lesquels le rédacteur en chef du Financial Times britannique, les rédacteurs en chef des médias français Le Monde, Mediapart et Le Canard Enchainé ainsi que d’autres originaires de Hongrie et d’Azerbaïdjan. Des opposants au gouvernement indien ainsi qu’un journaliste mexicain assassiné en 2017 se trouvaient également sur la liste.
Les experts en informatique du Security Lab d’Amnesty International ont pu procéder à un examen médico-légal des iPhones de 44 personnes figurant sur la liste et détecter des traces de Pegasus dans 37 cas. Le Citizen Lab de l’Université de Toronto a vérifié cette méthode. Sur certains smartphones, le cheval de Troie aurait été actif jusqu’en juillet de cette année.
Des journalistes en Hongrie, en Azerbaïdjan et en France
Parmi les victimes figurent apparemment plusieurs journalistes d’investigation hongrois. Un ancien employé de NSO a confirmé aux médias participant aux recherches que la Hongrie comptait ou compte encore parmi les clients de NSO. On ne sait toujours pas quelles agences en particulier se cachent derrière ces écoutes.
En Azerbaïdjan, plusieurs journalistes critiques à l’égard du gouvernement auraient également été surveillés. En outre, les téléphones portables de deux journalistes du journal en ligne français Mediapart ont été attaqués avec Pegasus entre 2019 et 2020. Les services secrets marocains étaient derrière cette affaire.
La fiancée du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné en 2018 a été manifestement surveillée avec Pegasus : son smartphone a été infecté avec Pegasus quatre jours après le meurtre. M. Khashoggi aurait également été espionné avant son assassinat à l’aide de ce logiciel.
Pegasus transforme les smartphones en micros
Si le cheval de Troie Pegasus est installé sur un téléphone, les agresseurs peuvent, par exemple, activer le micro sans se faire remarquer afin d’enregistrer les conversations. En outre, il est possible d’écouter les appels téléphoniques, de lire les chats et de prendre des photos. Le programme d’espionnage est installé par les agresseurs à distance. Cela serait même possible sans que les victimes aient à cliquer sur un lien ou à faire quoi que ce soit : les agresseurs envoient un message préparé qui ne s’affiche pas sur l’appareil et qui télécharge et active automatiquement le logiciel espion.
Une clarification est demandée
Dans un communiqué publié dimanche, NSO qualifiait ces recherches de « faux reproches et d’affirmations trompeuses ». Les accusations n’auraient « aucune base factuelle ». Le logiciel de la société ne serait par ailleurs « en aucune façon lié au meurtre odieux de Jamal Khashoggi ». Comme par le passé, NSO a affirmé que Pegasus était « vendu exclusivement aux organismes chargés de l’application de la loi et aux agences de renseignement de gouvernements soumis à vérification, dans le seul but de sauver des vies en prévenant la criminalité et les actes de terrorisme ».
Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International, affirmait quant à elle : « Le Projet Pegasus montre à quel point le logiciel espion de NSO Group est une arme de choix pour les gouvernements répressifs qui cherchent à réduire au silence les journalistes, à s’en prendre aux militant·e·s et à écraser l’opposition, mettant ainsi d’innombrables vies en péril. » Bien que l’entreprise affirme que le logiciel n’est utilisé que pour des enquêtes criminelles légitimes, il est clair que la technologie permet des abus systématiques.
Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a réagi avec indignation à ces informations. « Évidemment, ce sont des faits extrêmement choquants », a-t-il déclaré lundi sur Franceinfo, tout en annonçant des investigations. En Hongrie, les personnalités politiques de l’opposition et une association de journalistes font également pression pour une clarification immédiate. Entre-temps, le ministre hongrois des affaires étrangères, Péter Szijjártó, a rejeté les accusations selon lesquelles son pays aurait utilisé Pegasus pour surveiller les journalistes et les membres de l’opposition. Il a déclaré que les services secrets de l’IH étaient prêts à fournir des informations à la commission de sécurité du Parlement hongrois.
L’association des journalistes allemands (Deutsche Journalisten-Verband, DJV) demandent de plus aux autorités de sécurité et services secrets allemands si le logiciel d’espionnage Pegasus a été utilisé contre des journalistes allemands. Le Président fédéral du DJV Frank Überall évoquait (en allemand) « un scandale de surveillance jamais vu ».
L’organisation Reporters sans frontières (RSF) s’est montrée elle aussi choquée du nombre important de pays ayant apparemment surveillé des professionnels des médias. Le Président allemand de RSF Christian Mihr a déclaré : « Les révélations du projet Pegasus doivent être un signal d’alarme : La communauté internationale doit désormais mettre un terme au commerce mondial des technologies de surveillance. Les propositions de règles d’exportation contraignantes sont sur la table depuis des années et doivent enfin être mises en œuvre. ». Amnesty International a également demandé un moratoire immédiat sur l’exportation, la vente et l’utilisation des technologies de surveillance.
Des violations répétées des droits humains
Le logiciel Pegasus est sous le feu des critiques depuis des années en raison de violations des droits humains : ainsi, les experts en sécurité du Citizen Lab avaient révélé en décembre 2020 déjà que les téléphones mobiles de 36 employé.e.s de la chaîne de télévision Al Jazeera avaient été espionnés. D’après l’enquête, les agresseurs avaient des liens avec les gouvernements d’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis.
RSF ainsi que d’autres organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch avaient la dernière fois reproché en mai (en allemand) à NSO de ne pas respecter les règles en matière de droits humains, malgré leurs déclarations allant dans ce sens. (dpa / js)